Diagnostic inquiétant
Le général a immédiatement donné le ton :
"Le moment, à mon avis, est particulièrement sérieux. Toute l'analyse stratégique de notre environnement de sécurité se concrétise aujourd'hui et, malheureusement, la détérioration s'accélère."
Les États-Unis se retirent, la Chine grandit, la Russie se prépare
Le principal militaire du pays a décrit trois vecteurs clés de menaces. Selon lui, "le film des vingt dernières années" dans les relations entre les États-Unis et l'Europe montre un mouvement inexorable de Washington vers l'Asie :
"Depuis plusieurs présidents américains consécutifs, nous voyons un mouvement cohérent : dans le domaine de la défense, les États-Unis se concentrent sur l'Asie. Il y a quelques semaines, ils ont décidé de retirer leurs troupes de Roumanie, à un moment où la guerre se déroule sur notre continent."
Parallèlement, la Chine est devenue non seulement un géant démographique et économique, mais aussi militaire, capable de produire des systèmes de pointe — des drones aux missiles balistiques.
"La Chine est une puissance qui crée aujourd'hui un problème militaire pour les États-Unis. Elle a démontré un équipement militaire 'le meilleur au monde' lors des derniers défilés."
Il a particulièrement souligné le risque de confrontation autour de Taïwan : au Pentagone, il y a littéralement une horloge qui compte les jours jusqu'en 2027 — un horizon conditionnel d'un possible affrontement entre la Chine et les États-Unis.
Le troisième "pilier" des menaces est la Russie. Le chef d'état-major a rappelé la séquence des agressions russes : Géorgie (2008), Crimée (2014), invasion à grande échelle de l'Ukraine (2022).
"Il n'y a aucune raison de penser que c'est la fin de la guerre sur notre continent. Malheureusement, la Russie se prépare à une confrontation avec nos pays à l'horizon 2030."
La Russie augmente le nombre de ses forces (de moins d'un million à 1,3 million, avec des plans d'atteindre environ 2 millions d'ici 2030), dirige environ 40 % de son économie vers le secteur de la défense et produit plus d'armements qu'elle n'en consomme sur le front.
"Elle se prépare clairement à quelque chose de plus grand. Elle est convaincue que les Européens sont faibles."
Afrique et Moyen-Orient : instabilité en périphérie
Un bloc séparé du discours a été consacré au Sud. L'Afrique subit les conséquences des changements climatiques, des déséquilibres économiques, de la pression migratoire et de la montée des groupes terroristes.
"Les leaders des groupes terroristes, qui étaient autrefois basés au Levant et en Afghanistan, sont aujourd'hui en Afrique. Le Sahel est profondément déstabilisé, les régimes militaires ne peuvent pas rétablir l'ordre, et les corps expéditionnaires russes ne savent que s'approprier des ressources."
Au Moyen-Orient, l'attaque du Hamas le 7 octobre contre Israël a été décrite par le général comme "un barbarisme dans sa forme pure", suivie d'une propagation des hostilités et d'une menace pour le commerce mondial en mer Rouge.
"Nous sommes plus forts que la Russie. Mais nous manquons de force d'âme"
Le général a reconnu que sa vision du monde est "très sombre", mais qu'il ne peut pas en parler autrement.
"Nous vivons dans des sociétés qui ont connu l'horreur de deux guerres mondiales et qui ont ensuite vécu des décennies dans un environnement pacifié, pensant que la paix était garantie pour toujours. Malheureusement, il y a autour de nous ceux qui ont fait le choix de la force."
Malgré cela, il a souligné à plusieurs reprises : les Européens et en particulier la France ont de réels atouts — démographiques, économiques, industriels et technologiques.
"Nous sommes fondamentalement plus forts que la Russie. Nous avons des ingénieurs et des techniciens qui font le meilleur au monde. Les Ukrainiens nous disent aujourd'hui que notre système SAMP/T fonctionne mieux que les meilleurs systèmes américains Patriot."
Le principal problème n'est pas dans les ressources matérielles, mais dans la préparation psychologique :
"Ce qui nous manque — et ici votre rôle est clé — c'est la force d'âme pour accepter la nécessité de 'nous faire du mal' pour protéger ce que nous sommes. Si un pays n'est pas prêt à accepter la perte de ses enfants et les efforts économiques, nous sommes en zone de risque."
Objectif : préparation dans 3–4 ans
Le chef d'état-major a esquissé l'horizon tactique :
"J'ai donné aux armées la mission d'être prêtes dans un horizon de trois à quatre ans. Mais j'ai besoin que la nation soit prête à soutenir cet effort, si nous devons le déployer."
Il a souligné que l'armée française est l'une des plus opérationnelles en Europe, mais que le bon niveau de réponse est une défense européenne collective :
"Comme au rugby : on peut être le meilleur joueur, mais sans équipe, on ne peut pas gagner. De même, notre défense ne sera solide que si nous 'jouons en équipe' avec les Européens."
Les maires comme "première ligne"
Une partie clé de son discours a été consacrée aux maires et aux collectivités. Le général les a directement qualifiés de "première chaîne de contact avec la population".
"Notre défense se construit localement. La conscience se forme aussi localement. Vous êtes les meilleurs intermédiaires, ceux qui ont le courage d'être 'en première ligne' dans le contact avec nos concitoyens."
Il a souligné quatre axes où les collectivités ont un rôle particulier :
Expliquer les menaces et le sens des efforts de défense. Les maires doivent parler aux gens de la Russie comme principal risque, de la nature du monde actuel.
"Ce n'est pas une 'lecture dominicale' à laquelle les gens accèdent spontanément. Il faut en parler, sinon il reste un sentiment que tout cela est loin."
Réserve et lien entre l'armée et la société. Les forces armées françaises comptent environ 200 000 militaires, mais l'État prévoit de doubler la réserve à 80 000 personnes.
"Base arrière" pour les familles militaires. Le général a qualifié les collectivités de "base arrière de l'armée" en cas de crise.
"Nos soldats se battront l'esprit libre, s'ils savent que la base arrière est solide. J'ai besoin de votre aide pour conserver les talents dans l'armée française."
Formation des troupes et attitude envers les manœuvres. Le chef d'état-major a demandé aux maires d'avoir une compréhension des grandes manœuvres militaires.
La défense comme économie
Pour déconstruire l'idée de la défense uniquement comme "coûts", le général a pris un moment pour aborder la dimension économique.
"Je sais quels efforts la nation fait actuellement en matière de défense. Ce sont des impôts. Mais il faut expliquer que les efforts de défense représentent des emplois et de la valeur ajoutée dans nos régions. Pour chaque euro investi dans la défense, nous avons 1,65 euro de retour dans nos territoires."
"Nous serons à la hauteur. Mais il faut le montrer"
En conclusion, le chef d'état-major a déclaré :
"Je n'ai aucun doute sur la solidité de l'armée française. Je sais que nous serons à la hauteur."
En même temps, il a averti :
"Nos concurrents nous écoutent et le savent. Mais il faut encore le montrer. Il faut montrer que nous avons la volonté de nous défendre."
Cette "démonstration de volonté" doit se faire au cours des trois prochaines années — à travers des décisions budgétaires, des signaux politiques et un travail sur l'opinion publique.
Le président de l'Association des maires de France, en résumant la rencontre, a cité le proverbe romain si vis pacem, para bellum ("si tu veux la paix, prépare la guerre") et a assuré que les collectivités françaises "seront à la hauteur — pour la République et la Patrie".

