La résistance ukrainienne
«La résistance ukrainienne et son importance historique» — il n’est pas exclu que des livres et des thèses soient écrits sur ce sujet, que des experts réputés s’y opposent, que des recherches sérieuses soient menées, et que les conséquences de la résistance ukrainienne se fassent sentir dans le monde durant très longtemps. Comme, par exemple, les conséquences de la Grande Révolution française — elles ne se contentent pas d’être ressenties, elles restent avec nous encore aujourd’hui, et cela semble être pour toujours.
Malgré la complexité et la multidimensionnalité du phénomène lui‑même, l’essence de la résistance ukrainienne est très simple. Elle tient au fait que nous ne voulons tout simplement pas disparaître. Et cela alors même que la disparition de l’Ukraine en tant qu’entité nationale et politico‑culturelle indépendante de cet échiquier géopolitique mondial presque insondable arrangerait bien des gens.
Pourquoi tout serait plus simple sans l’Ukraine
Fédération de Russie
Les exigences que la Fédération de Russie pose pour «conclure la paix» constituent, en réalité, la première étape d’un plan visant à éliminer l’Ukraine de l’échiquier, ou à «absorber» l’Ukraine de manière inamicale par le marais moscovite. C’est précisément ce que recherche le Kremlin, c’est là-dessus qu’il a misé (pratiquement, «all‑in», comme au poker) — et c’est un pari dans tous les domaines : la guerre, la politique, l’économie. Les raisons de cette obsession de «s’approprier l’Ukraine» constituent le sujet d’études séparées, y compris dans le domaine de la psychopathologie collective (voir un autre article sur notre site). Mais, d’une manière ou d’une autre, la disparition de l’Ukraine en tant que telle est la priorité stratégique principale de Moscou.
États‑Unis
Pour les États‑Unis, un monde sans l’Ukraine serait juste un retour à la normale, un retour à une situation où il est commode de négocier, de conclure des accords, de mener des affaires comme d’habitude. Malgré la posture affichée en faveur des valeurs démocratiques, notons que traiter avec des dictatures répressives et arriérées est une pratique très commode pour les États‑Unis. Les questions importantes se règlent dans quelques bureaux, et souvent dans un seul ; on peut ignorer des réalités obscures et des mouvements dans les provinces rebelles et les colonies de Moscou auxquelles il faut désormais, pour une raison quelconque, prêter attention. Et, bien sûr, lorsqu’il s’agit du dilemme — dépenser pour aider l’Ukraine ou gagner de l’argent en rétablissant des relations commerciales avec les Moscovites — le pragmatisme court‑termiste de l’establishment américain et des élites d’affaires ne joue pas en faveur de l’Ukraine.
Europe
Politiquement, le continent est extrêmement hétérogène. Il existe des nations d’Europe occidentale pour lesquelles la Sibérie commence à peu près là où se trouvait autrefois la frontière occidentale de l’URSS. Très souvent, les représentants de ces nations s’étonnent franchement : pourquoi l’Ukraine veut‑elle entrer dans l’OTAN, n’est‑ce pas ce désir qui a provoqué la guerre, pourquoi Kiev refuse‑t‑il de négocier avec Moscou, etc. L’existence même de l’Ukraine y est largement perçue comme un facteur d’instabilité qui crée des risques inacceptables en matière de sécurité et de finances pour l’ensemble du continent.
Bien sûr, il existe des nations européennes qui partagent un autre point de vue. Dans ces pays, la menace moscovite est bien comprise, et certains ont d’ailleurs goûté amèrement au joug moscovite. Mais même pour ces pays, le soutien à l’Ukraine devient de plus en plus un fardeau sérieux, et l’opinion publique réfléchit de plus en plus au fait que, tant que l’Ukraine se bat (sans que l’on sache combien de temps elle tiendra encore), il faut davantage investir dans sa propre capacité de défense et chercher des moyens de «apaiser» ou même de «satisfaire» Moscou — bien sûr, aux dépens de l’Ukraine. Mais parmi ces pays, il en existe même qui ont une orientation clairement pro‑moscovite, ce qui est globalement un phénomène assez contre‑nature, puisqu’il contredit l’expérience historique de ces nations.
Selon de nombreux leaders d’opinion honnêtes dans les pays d’Europe de l’Est, le niveau de corruption des politiciens et les dépenses engagées pour la propagande pro‑Moscou sont tout simplement incroyables. Regardez seulement Fico et Orbán, leur entourage politique et leurs médias complaisants. Même au Royaume‑Uni, il y a eu des révélations officielles de corruption politique pro‑moscovite. Il faut aussi tenir compte du fait que Moscou dépense des sommes absolument stupides pour «promouvoir» des projets politiques aventuriers de droite et de gauche dans le but de former un consensus européen centré sur Moscou.
Et bien que ce consensus n’existe pas encore et soit peu probable, il ne faut pas sous‑estimer la menace. Il s’agit en effet pour Moscou de changer la paradigme paneuropéenne : Moscou veut que l’Ukraine soit perçue en Europe non pas comme une «barrière», mais comme un «fardeau» — et alors il serait bien plus facile pour Moscou d’atteindre son objectif d’absorption de l’Ukraine.
Chine
Il est évident que Pékin ne souhaite pas une victoire rapide de la Fédération de Russie dans la guerre contre l’Ukraine. S’il l’avait souhaité, le soutien à Moscou et les livraisons auraient été différents. Ainsi, Pékin soutient Moscou de manière semi‑clandestine, et en grande partie — via ses proxies nord‑coréens. Une victoire rapide de la Fédération de Russie renforcerait cette dernière, ce qui représenterait un obstacle sérieux pour Pékin sur sa voie rêvée vers le contrôle total de 7 millions de kilomètres carrés et des ressources correspondantes de la Sibérie et de l’Extrême‑Orient. Ce sont précisément de tels chiffres et thèses qui ont commencé à apparaître dans les médias centraux chinois en décembre 2025, ce qui est également assez symptomatique.
Le calcul de Pékin est donc assez simple et cynique : affaiblir au maximum la Fédération de Russie dans une guerre longue. Ainsi, pour la Chine, l’Ukraine n’est qu’un facteur d’affaiblissement de Moscou et une distraction du «collectif occidental» face aux menaces géopolitiques que Pékin lui‑même peut et visiblement planifie de générer.
Le reste du monde
On peut et l’on doit analyser les approches de politique étrangère en pondérant la «poids géopolitique» des autres pays. Mais même en dépit de sympathies publiques parfois très fortes pour la résistance ukrainienne à l’agression russe, le reste du monde n’a globalement pas d’intérêt direct à ce que l’Ukraine tienne. Souvent, au contraire, nombre d’acteurs mondiaux souhaitent la fin la plus rapide possible de la guerre (évidemment au prix de l’Ukraine) et la reprise des affaires avec la Fédération de Russie.
Les positions de pays comme la RPDC, l’Iran ou Cuba se sont fixées depuis longtemps, et on ne peut guère attendre d’eux des changements favorables à l’Ukraine. Quant aux nations dépendantes des livraisons de céréales ukrainiennes — il semble que ce qui leur importe, c’est seulement que ces céréales soient livrées, et ils se moquent éperdument de savoir si elles auront été volées par les Russes ou non. De plus, la réduction des programmes «humanitaires» d’aide aux pays pauvres en raison de la nécessité d’aider militairement l’Ukraine — que certains pays européens ont annoncée récemment — n’ajoute pas d’alliés à l’Ukraine parmi les «pays en développement» (même si, en réalité, ils ne se développent pas tant que ça, mais c’est là une autre histoire).
Perspective globale
À l’échelle mondiale, plus l’Ukraine s’enfonce dans le déclin économique, la crise énergétique, démographique, sécuritaire, la corruption et toutes sortes d’autres crises, moins elle présente d’intérêt pour le monde. Les investissements, le tourisme, la coopération économique — tout cela n’est malheureusement pas encore à propos de l’Ukraine. Et c’est précisément sur cela que Moscou compte.
Il faut reconnaître : partout dans le monde, les partisans d’une «paix» aux conditions de Moscou, par concessions à Moscou et au prix de la «livraison» de l’Ukraine sont de plus en plus nombreux. Moscou soutient et finance de toutes parts un tel changement de paradigme. Et cela signifie que les perspectives d’un afflux continu d’aide financière et militaire‑technique si indispensable pour l’Ukraine, et même de soutien politico‑diplomatique, deviennent de plus en plus problématiques. Bien sûr, les scandales de corruption au sein du pouvoir ukrainien ne font qu’aggraver la situation. Mais il y a un «mais».
Pourquoi la résistance ukrainienne a à la fois une chance et donne une chance
Les Ukrainiens — du moins la partie consciente et active de la nation — ne veulent pas disparaître. Une part importante de notre société vit avec la conviction qu’on ne doit pas se rendre, qu’on ne doit pas croire à des garanties de sécurité, qu’on ne doit pas espérer que Moscou respectera des promesses et des accords. Nous avons appris à croire que nos ennemis périront comme la rosée au soleil, seulement si nous les tuons, et pas avant.
Bien sûr, il y a des lâches, des déserteurs, des capitulards, des collaborateurs potentiels et des attentistes. Mais ce ne sont pas eux qui, pour l’instant, font la météo en Ukraine. Les Ukrainiens sont sceptiques à l’idée d’une «paix rapide», parce qu’ils ne veulent désespérément pas disparaître. Le caractère désespéré de cette obstination nous donne une chance. Mais pas seulement à l’Ukraine. Il semble aussi que le monde entier en bénéficie.
Le monde s’est enfermé dans un pragmatisme court‑termiste et primitif, et il oublie les valeurs. Il est obsédé par les intérêts et les gains douteux, et il oublie les comptes en suspens. Cela s’est déjà produit plusieurs fois dans l’histoire de l’humanité, et à chaque fois ces déviations ont coûté très cher. Et chaque fois, il y a eu des forces saines qui ont ramené les peuples à la conscience de ce qui est véritablement important, centrée autour d’un concept fondamental : la liberté.
La liberté est ce pour quoi il vaut la peine d’accepter la mort et de tuer les ennemis. Le monde moderne a quelque peu oublié cela. Nous sommes donc là pour le lui rappeler. À ce stade du développement de l’humanité, il semble que l’Ukraine soit destinée à devenir un point de bifurcation. Ici et maintenant, la résistance ukrainienne, qui se poursuit malgré des circonstances défavorables, façonne une nouvelle perspective historique mondiale — parce qu’elle détermine quel sera le monde de demain.